La question de l’accès. Alors que les technologies de « l’accès aux musiques », avec le marketing de la segmentation associé aux performances du numérique, semblent optimales du point de vue des industries du divertissement, la Médiathèque ne cesse d’exprimer une opinion contraire : on est en train d’alimenter une dangereuse spirale qui banalise la musique au nom de la vitesse d’adéquation entre une envie de musique et ce qui vient combler cette envie. Le slogan type des pourvoyeurs de ce substrat musical était placardé dans le métro bruxellois en septembre 2010 et ressemble à ceci : « je veux tout de suite, là, maintenant, accéder à mes musiques préférées ». Admirez la brutalité de cet enfermement et cette manière détournée de dire avant tout, il nous importe de tuer le désir, forcément ingérable, de musique, parce que le bu rechercher est bien de gérer le plus rationnellement, donc avec le maximum de profit, ce qui vient remplacer le désir qui cherchait quelque chose du côté de la création musicale. Ce que dit la Médiathèque ? L’accès aux musiques est une question de système de connaissance, pas de tuyaux. Et, avec son projet Archipel, elle entame un nouveau système de recherche sur les musiques. Des recherches d’où découleront avec le temps des connaissances rafraîchies. (La méthode revient à procéder selon des manières de sentir et penser telles qu’étudiée par Edouard Glissant qui a théorisé l’archipélisation.) Contre la marchandisation outrée du produit musical, il faut désapprendre à entendre la musique, désapprendre l’écoute, pour reconstruire l’attention à ce peut apporter la musique dans une économie culturelle. – Désapprendre avec le plus vivant. – Pour cette opération du désapprendre, La Médiathèque propose d’opérer avec les musiques qui restent au plus près de l’émergence du vivant. Celles qui se préoccupent le moins d’entrer dans les segments et de correspondre aux fabrications des « musiques préférées » du plus grand nombre. Les musiques situées entre le classique contemporain, les cultures électroniques, les cultures rock aventureuses, la poésie sonore, le cinéma expérimental et qui correspondent grosso modo à ce que le marché laisse en paix dans les marges, les niches, les segments pour pointus et branchés. Le discours de la Médiathèque est de placer ces expressions au centre : sans les innovations qui naissent dans ces laboratoires et l’imagination des artistes singuliers, c’est la totalité du champ musical qui perdrait un de ses poumons créatifs, une de ses sources de jouvence où puisent toutes les musiques mainstream pour se renouveler, présenter de nouvelles textures, ébaucher des narrations sonores innovantes… Et ainsi, le message est clair sur la nécessité d’arrêter d’opposer des répertoires, de jouer le populaire contre le savant, tout se tient, tout est important et donner des moyens aux champs de l’expérimentation pour qu’il soit prospère et dynamique est la meilleure manière de dynamiser le marché du mainstream qui trouvera à s’y inspirer. Archipel rend compte de la vague importante de la savantisation issue des musiques dites populaires (savantisation théorisée par Alberto Velho Nogueira) en convergence avec la musique classique contemporaine. Des formes sonores (et visuelles) qui ont tiré parti des avancées des technologies et des connaissances scientifiques. Comme beaucoup des expressions artistiques modernes mais en faisant des technologies un usage créatif qui permet une critique de l’apport des technologies, au service de l’autonomie. – Revenir aux sens, aux îlots. – Archipel est une navigation dans l’histoire des musiques actuelles, par ses œuvres les plus singulières, les plus rétives au classement et aux segmentations, qui s’organise selon des îlots de sens, des îlots d’expériences pour retrouver l’usage des sens par la musique (alors que les industries culturelles usent de la musique pour ôter cette maîtrise des sens). Ces îlots s’appellent Aléas, Bruits, Corps, Silence, Micro/Macro, Recyclage, Témoins, Temps, Utopie.. Ou comment les musiques nous parlent de l’aléatoire dans la vie, du silence, du corps, du bruit, du recyclage, du besoin d’utopie, de la recherche de témoignage… Un dispositif pour renouer avec le désir de musique. Ce dispositif, dans une version exposition – un meuble de rencontre où lire et écouter des musiques via un écran tactile – a été exposé à la Bpi, du 14 septembre au 1er novembre 2010. Le 18 octobre 2010, une conférence au Centre Pompidou, avec Nicolas Donin (Ircam) et Bastien Gallet (philosophe, professeur aux Beaux-Arts de Lyon), ena présenté les principes et les mécanismes de recherche. – Un outil de connaissance, une navigation originale. – C’est d’abord un espace réel et virtuel de découvertes. Selon un design et une navigation qui invitent à avancer par la surprise. La progression proposée est indéterminée, ouverte au hasard. La configuration encourage à choisir des œuvres musicales « masquées » de manière à (re)trouver en quoi elles sont surprenantes. La procédure aléatoire, même pour un initié, devrait conduire à redécouvrir des choses connues. Le déplacement dans le programme d’exploration conduit, par les liens entre îlots, par les mots clés qui caractérisent les musiques (un mélange de termes académiques et de termes intuitifs), à tracer des trajets imprévus et personnalisés par l’intuition de chacun, entre des musiques qui n’ont peut-être jamais été écoutées successivement, qui n’ont jamais bénéficié de cet exercice de comparaison. Et c’est cet exercice de comparaison, de confrontation qui est stimulante pour l’imagination, même chez un auditeur peu averti. En circulant dans Archipel, le curieux va effectuer un montage de différents langages sonores, des extraits de textes lus, des images de pochettes de disques, des termes de classification, et c’est par ce travail de montage inattendu que des images valorisantes, pour l’auditeur et pour les artistes écoutés, vont germer et conduire à de nouvelles formes de connaissance sur les musiques actuelles. Avec Archipel, La Médiathèque dispose d’une plateforme pour s’implanter dans les économies contributives (en profiter et y apporter quelque chose). – L’apport institutionnel. – La Médiathèque peut mettre en route un projet tel qu’Archipel parce qu’elle achète des médias physiques depuis plus de 50 ans, qu’elle classe les musiques enregistrées en collections conventionnelles depuis des décennies et qu’elle a toujours, par ce travail spécifique, prêté attention aux « singuliers », aux émergences irrépressibles des musiques qu’il est impossible de classer dans les formes connues. Elle a très vite identifié que ce sont les musiques dites « difficiles » qui entretiennent le potentiel régénérant des musiques plus connues. C’est de là que né le désir de musique. Tout cela a été possible par le travail de plusieurs personnes, au fil des ans, au sein de l’organisation institutionnelle d’une association culturelle non-marchande (La Médiathèque), et notamment du travail d’Alberto Velho Nogueira. Tout ça pour dire que c’est par là que La Médiathèque a quelque chose d’institutionnel à injecter « de haut en bas » dans la circulation des savoirs et leur remise en cause par l’énergie ascendante des réseaux sociaux, de bas en haut et qui, trop souvent, court-circuite la complémentarité entre bas et haut par leur dérive. – Archipel inauguré physiquement. – En plus d’être un module d’exposition dynamique (musée virtuel et évolutif des musiques actuelles), Archipel sera bientôt un site Internet mais, aussi et surtout, c’est une collection physique (CD, DVD) entourée d’un savoir-faire de médiation dans les médiathèques. Cet aspect a été inauguré dans notre médiathèque de Bruxelles centre, le jeudi 2 décembre. Un espace de veille a été ouvert avec accès aux médias, aux écrans de consultation, à un mobilier où s’installer pour écouter, lire, regarder, dialoguer. – Bauduin Oosterlinck, shaman de l’ouïe. – Cette mise à flot d’Archipel était placée sous le signe de Bauduin Oosterlinck, un des artistes qui nous a donné envie de construire Archipel. Voici comment il organise ses sessions interactives : plusieurs tables, nappées de blanc, sont dressées. Des objets, agencés par l’artiste, y sont exposés. Ils sont hétérogènes, dans les formes, leurs origines, leurs matériaux, on dirait des rébus. Ils ont un point commun : le stéthoscope. L’artiste explique le fonctionnement de chacune de ces sculptures délicates à quelques assistants qui, à leur tout, feront la démonstration aux petits groupes de curieux qui seront dirigés vers les tables durant le vernissage. Après quelques mots d’explications, chaque visiteur est laissé seul avec ses gestes, sa quête du bruit qu’il peut générer. Ce sont ainsi des agencements de choses pour faire de la musique en circuit refermé, par le biais du stéthoscope, les doits auscultant les objets, presque sans les sentir (tout passe par l’oreille). Ainsi, écouter se confond presque avec respirer. Jouer de ces engins poétiques donne l’impression d’entendre des bribes de ses musiques intérieures (ADN sonore). S’entendre résonner, entendre résonner en soi des objets extérieurs, étrangers. S’entendre musiquer. Délicatement. Comme quand on écoute son cœur. L’aspect médical de cette organologie n’est pas fortuit, on est dans la rééducation de l’oreille, on soigne l’écoute. Avec de subtiles constructions de verre, de volumes de silence, des déplacements d’air, des ressorts, des cordes, des mécanismes oniriques pour une musique fragile, éparse. Vous êtes le seul à entendre ce que vous produisez. Ça vous appartient, vous créez en vous de l’inédit. Et ces choses si petites peuvent déclencher des expériences bouleversantes : comme la manipulation de l’ocarina et la révélation du silence. Et chacune des révélations distillées par les instruments d’Oosterlinck libère des ondes oscillantes qui poussent l’ouïe vers les rivages d’Archipel, y instille le désir d’entendre autrement la musique. (PH) – Archipel présenté sur le site de la Médiathèque – Autre texte sur B. Oosterlinck –
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