L’accès brutal. – Début septembre, la musique était une fois de plus bafouée, dans le métro bruxellois par une publicité « je veux écouter, là tout de suite, mes musiques préférées ». Ce slogan brutal résume bien le cas qui est fait aujourd’hui de l’accès aux musiques. Ça doit aller très vite et correspondre pile poile à ce que l’on aime déjà, étant entendu que l’on ne peut chercher sur Internet que ce que l’on aime déjà. Ce message est massif, c’est un pilonnage intensif, dans l’espoir de rentabiliser Internet par la musique. Il n’y a pas manière plus efficace de tuer le désir de musique et, par ricochet, les désirs de culture que peut éveiller le désir de musique. Il n’y a plus de distance, plus aucune place à la surprise, l’inattendu. La logique des segments mise en place pour exploiter commercialement au mieux le gisement des goûts musicaux du public se fait de plus en plus autoritaire. Elle devient la pensée unique qui régit les stratégies de ce que l’on appelle l’accès aux musiques. Selon ce dispositif, les artistes audacieux, ceux dont les œuvres peuvent surprendre, décontenancer, trouveront de moins en moins d’audience. Ils ne peuvent correspondre à ce que l’on aime déjà. La prise de risque va en prendre un sacré coup. Et la diversité culturelle, on peut l’oublier. Quant aux compétences d’écoute, reléguées à écouter ce qui est déjà connu, reconnu et aimé, elles vont fortement s’atrophier, perdre une bonne part de leurs dimensions sociales et politiques. Sauf pour les nantis culturellement, qui pourront toujours circuler de segment en segment et varier les plaisirs. – De l’inclassable au vivant – Dans le métier de médiathécaire qui consiste à écouter et classer les musiques – le classement comme outil de connaissance -, le surgissement continu de formes musicales inclassables est un phénomène stimulant. Elles attestent qu’une part importante de la musique se refuse à toute segmentation, se développe même pour défier toute idée de classement. C’est la force du vivant d’engendrer des formes qui défient les classifications. En musique, sur plusieurs dizaines d’années de prospection d’une médiathèque, cela représente un continent énorme. De cette créativité à l’état pur, des idées, des concepts, des matériaux, des textures, des grains, des techniques, des instruments ne cessent de migrer vers les musiques plus conventionnelles, mainstream,- filtrées et adaptées aux langages musicaux plus connus-. Mais sans cette migration en provenance des zones d’expériences dites « pointues », toute la partie musicale la plus émergente, celle qui occupe même les segments les plus rentables, se trouvera progressivement moins irriguée de nouveauté, de capacité à susciter le désir en maintenant tout de même quelque parcelle d’obscure, de mystérieux dans l’archi connu. Ces musiques inclassables qui ont cette fonction d’apporter de l’oxygène créatif pour l’ensemble du champ musical, reléguées par le marché dans les marges et les niches, la Médiathèque propose de les placer au centre d’un nouveau discours sur les musiques. Non pas pour dire qu’elles sont meilleures ou plus intéressantes que les autres, mais pour expliciter la complémentarité de ce que le commerce oppose et sépare dans des segments. Pour que la désegmentation libère à nouveau le désir de musique. Il s’agit d’un répertoire idéal pour construire un dispositif basé sur la surprise de l’écoute et donc, assumer un rôle de type « lecture publique » quant au questionnement sur les compétences sociales de l’écoute. – Archipel de décélération. – La Médiathèque lance un projet évolutif dédié à ces musiques inclassables en déjouant les discours convenus, savants et académiques. C’est un ensemble de 10 îlots qui retrace l’évolution des formes musicales en lien avec des notions clés pour mesurer les bouleversements de la modernité. Le temps, le corps, le silence, le bruit, le recyclage, micro-macro, utopies, témoins, aléas… Les œuvres organisées selon ce schéma vivant retrace l’histoire d’une nouvelle organologie en phase avec l’apparition de techniques et de connaissances qui ont changé la place de l’homme dans l’univers. L’organisme se prolonge dans des nouvelles technologies qui permettent d’appréhender autrement les liens entre l’intime et le public, l’individu et le collectif, l’animé et l’inanimé… C’est aussi une dynamique qui fait évoluer les musiques dites populaires vers des formes de plus en plus savantes. L’Archipel entend s’opposer au slogan publicitaire « vite, mes musiques préférées » pour proposer des îlots de décélération. C’est le premier message. Il faut parfois s’arrêter, prêter attention à ce qui représente l’inaudible, en passer par là pour entretenir sa capacité à entendre. – La première forme, une exposition, Archipel à Paris. – La première forme d’Archipel est une version d’exposition. Un dispositif pour événementialiser, dans des lieux culturels publics, une médiation sur les compétences d’écoute et proposer d’autres manières de raconter les musiques actuelles, en faisan la part belle à l’esprit d’aventure et à l’imagination (on croise encore le désir). Ce format d’exposition se présente sous forme de meubles nomades où s’arrêter, s’isoler, pour écouter. Dans le meuble, un ordinateur, un écran tactile des casques, et un programme de navigation, ludique, intuitif. Au stade actuel, plus ou moins 180 références discographiques, plus de 200 heures d’écoute. Des textes accompagnent les œuvres. Un glossaire original est mis à disposition ainsi qu’une brochure imprimée. L’ensemble se situe du côté de la vulgarisation inspirée. L’exposition Archipel est pour la première fois montrée à la Bpi (Bibliothèque publique d’information au Centre Pompidou). Elle a été inaugurée le 14 septembre par la Ministre de la Culture et de l’Audiovisuel Fadila Laanan (Communauté française de Belgique). Le projet a été ensuite présenté au milieu professionnel lors d’une après-midi avec exposés et table ronde. Archipel a été salué comme le genre de produits dont les médiathèques ont besoin pour adapter leurs missions au contexte de la « dématérialisation des supports » et de la société de la connaissance. Durant les deux mois de présence d’Archipel à la Bpi, plusieurs manifestations sont organisées… Le projet deviendra un site Internet et est déjà promis à de multiples développements mais on vous en parle lorsqu’il débarque en chair et en os dans les médiathèques belges. (PH) – Programme Archipel à la Bpi – Le projet Archipel a été emballé par Catherine Hayt (mobilier d’exposition), Harrisson (graphisme) et Michael Murthaugt (conception du site).
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