« Oper Opis » (Zimmermann & De Perrot), Théâtre de la Ville, 21 février 09
Un registre où j’ai peu de repères. Mais l’annonce rassemblant les éléments : « platine – DJ – danse – acrobatie – Suisse » m’alluma fortement, par références. En effet, il y a un climat suisse qui fait éclore des merveilles décalées qui claquent : Voice Crack, Roman Signer, Fischli & Weiss, Peter Liechti… La veille, un article dans Libération, refroidissait mes espérances. Marie-Christine Vernay énumère avec empressement toutes les qualités du spectacle, carrément ses « perfections » et plus on avance, plus on se doute que l’addition, elle, sera salée. Et en effet, Oper Opis est finalement descendu pour son absence de propos, son vide intérieur, son « manque d’auteur chorégraphique », rien d’autre que « du pur divertissement rondement mené ». L’auteur de l’article fustige le côté lisse, l’observation de la société qui ne dérange plus rien. On peut supposer qu’elle le regrette par comparaison à d’autres spectacles de danse qui associent de manière évidente traitement du corps et critique sociale. (Elle cite Josef Nadj, François Verret, on peut en ajouter d’autres, y compris Pina Bausch.) Alors, qu’est-ce que ça dit ? – Oper Opis, démarre bien comme un truc de fou, qui laisse espérer une mise à feu haletante dans le style « Le cours des choses » de Fischli & Weiss. Des pièces de bois tournent sur la platine, heurtent un micro, le son est capté et s’installe un tempo, une attente d’emblée placée dans une autre dimension. Le micro est ensuite orienté vers une longue série d’autres pièces de bois alignées au bord du plateau et qui s’écroulent en chaîne, à partir de ce déraillement suscité par un toc sublimé de disque rayé, c’est la pagaille, une sorte de mouvement perpétuel. Le plateau lieu de vie est instable, mobile, variant ses pentes. La première période est le mime de l’angoisse, l’obligation de bouger pour espérer prendre racine, rien ne tient en place. Ensuite, c’est une succession de sketches, de party hypertrophiée, de fitness chaplinesque, musculation de désirs désemparés, exhibitions érotiques à la dérive, métamorphoses maladives des corps. Une sorte de mouvement forcé, de gesticulation coûte que coûte, par lequel en général on tente de tromper ou égarer ses vides, ses absences, ses pertes de tout, sentimental, spirituel, sexuel… Trémoussements culturistes et gymnastiques pornographiques, impuissance à se construire un corps, déconstruction permanente de soi, désaisissement comme automatique de sa consistance, par les vibrations, les ondes sonores, les plans inclinés favorisant les éclipses de l’autre… Morcellement. Eparpillement. Transe entre possession et dépossession. Il manque un souffle, une posture plus incisive, plus critique, on est loin des claques administrées par les Suisses que j’évoquais… Pour autant, je ne dirais pas que ça relève du « nouveau cirque ». Il y a quand même une histoire et une subjectivité dans les acrobaties que l’on ne trouve pas au cirque. Il est tout autant exagéré, même si l’ensemble relève du divertissement de qualité point barre, de dire qu’il y a une absence totale de réel discours chorégraphique. Mais il ne se situe certainement pas au même niveau, sur le même registre employé par les auteurs cités dans l’article. Et c’est là que ça m’intéresse : Oper Opis, c’est du mainstream intelligent, bien foutu, fabriqué à partir de ce qui se crée dans des zones de créations plus expérimentales : que ce soit du côté du DJ, des acrobaties, de la danse et de la non-danse (il y en a aussi). Mainstream dans la manière de lisser et d’associer des éléments innovants de ces différents domaines. Et ça m’intéresse au niveau de la critique journalistique en comparant à d’autres domaines. L’équivalent de Oper Opis en musique, surtout dans les musiques dites populaires, soit tous les mainstream (rock, électro..) intelligents (Radiohead…) constituent ce qui intéresse le plus les journalistes. C’est ce qu’ils suivent le plus, le plus abondamment, et c’est à quoi ils accordent le plus leurs faveurs. Ce qui donne : le mainstream intelligent, bien foutu, en musiques, c’est le top. Au niveau de la danse, c’est sans intérêt. Où est le traitement de faveur ? Les musiques sont dévaluées dans les régimes d’information, la danse reste un domaine par excellence de l’art savant où l’on peut encore être descendu pour galvaudage. En musique, tout est déjà galvaudé !? (PH) – En prêt public : Un DVD sur Voice Cracks – Un film de Peter Liechti sur Roman Signer –