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Une académie recyclée, un cabinet léopard, points forts de Parcours -40

Parcours -40, 25 jeunes créateurs dans la ville. Mons, 21 et 22, 28 et 29 mai 2011

 A propos de parcours. Le principe du « parcours d’artistes » installé dans une ville ou un quartier, pour donner d’une part une vitrine à des artistes peu connus, définitivement confidentiels ou en devenir, et, d’autre part, animer le tissu urbain par un prétexte culturel, a déjà été mis à toutes les sauces, commerciales ou électoralistes. Celui qui vient d’être verni à Mons, concocté par les commissaires Bruno Ferlini et Bruno Vandegraaf, est un deux étoiles. Tant par les lieux choisis pour exposer – rentrer dans une vieille école, découvrir un jardin et ses arbres à l’abandon, en pleine ville – que la qualité des artistes sélectionnés dans des registres très différents.Une diversité bien sentie. – On peut y voir des œuvres fines et discrète comme des gommes où des portraits ont été gravés et servant de tampons pour la réalisation de petits livres, le tout exposé dans les vitrines d’un cabinet cossu (Josna Diricq), un monde graphique et illustré commentant le quotidien, réenchantant ses consignes routinières. On a envie de s’assoir, consulter attentivement, entrer dans ces pages, lire, oublier le temps. Mais aussi, on rencontre son contraire, une profusion de peluches et poupées détournées-transformées (biscornues, anormales), limite mauvais goût mais dont l’accumulation et la continuation en dessins, croquis et petit film d’animation forment un univers qui tient la route, « un peu à la Tim Burton » selon un commentaire prononcé par plusieurs visiteurs (Mary G). Ailleurs, on passe de citrons tatoués – anecdotiques et pourtant -à des sculptures en carton, géométrie biscornue de récupération, certaine suspendue dans le faisceau lumineux d’une projection de mots et dont le phrasé est mis en relief par la construction de carton.  Au niveau de la photographie, le spectre est très large aussi, exploration des espaces urbains et de leur esthétique mutante (Triangle de vue),  photos retouchées par ordinateur, magnifique travail en noir et blanc, notamment dans d’anciens sites industriels avec terrils, paysages et regards singuliers sur l’intime, le flou et l’empathie avec les objets et les gens (Jeftah, Isabelle Lebon, Laurence Vray) ou essais sur des moments et des lieux de fuite, de dédits, de maladie sociale refoulée, un lit sale chiffonné, la beauté d’un repas frugal, un visage derrière un tronc (Pierre Liebart), une ruralité étrangéisée (lapin dépiauté, alignement de troncs déréalisé dans la neige)… – Dessins à poils, cannettes, mégots & crucifix. –  Julie Moulin aligne dans 7M3 – un espace d’exposition que j’avais créé dans la nouvelle Médiathèque avec Jean-Pierre Scouflaire, Michel de Reymackers et qui s’illustra par des expositions originales conçues pour le lieu et quelques vernissages légendaires -, une série de dessins où l’abondance capillaire recouvre les visages, comme la résurgence bienvenue d’une sauvagerie tapie dans ses personnages et qui, dès lors, s’épanouit en transportant un bac de Jupiler et, de l’autre bras, brandissant une masse, ou en associant sans marquer la moindre menace, une biche et un fusil de chasse (version moderne de Diane), dans une ligne assez « rock ». Le rideau de cheveux a modifié les personnalités et accommode les contraires. Dans un ancien logis dont l’entrée est décorée de fresques (en carrelages peints) représentant un haut lieu de la civilisation – l’Etna, Pompéï, des vignes -, Emilienne Tempels a déversé un fleuve de canettes vides, poubelle d’objets éphémères, au regard de la consommation et de très longue durée quant à la biodiversité. Confrontation entre la marque d’une culture ancienne et celle que laissera l’art de vie actuel. Dans la chapelle du Bélian, Stéphanie Quirola associe peintures et installations. Représentation de canalisation et conduits industriels monumentaux, le ciel marqué d’une trace sanglante, hélice d’ADN en mégots de cigarettes, toiles et installation jouant sur l’expression « marcher sur des œufs », tas de ciment en poussière. Au passage, devant les vitrines du Dynamusée, on aura souri devant la série des crucifix de Tristan Descamps (In Gode she Trusts). – Recycling, 360°. – Dans l’ancienne Académie des Beaux-Arts, à l’abandon, un collectif détourne les significations anciennes du bâtiment autour du thème « this is not art ». Des collages à observer par la vitre brisée d’une porte, d’anciennes toilettes transformées en trônes, lupanars, cellule de recueillement ou dispositifs à torturer (la chiotte gégène, le WC chaise électrique, mourir par électrocution en tirant la chasse). La cour transformée en grande marelle, une mise en scène avec SDF mort sous ses cartons, à côté de son caddie (pas loin de la case « paradis »). Une mosaïque anarchique et vénéneuse (Barbara Dits), de petites sculptures en tessons de bouteilles. Plein de petites choses éparpillées, placées dans les coins, en plein milieu du chemin, de petits autels, des stèles insolites, des déchets transfigurés, des inscriptions qui ne renient par leur fraîcheur (à défaut d’originalité)… Un bel ensemble foutraque, une vraie cour de recréation, un remue-méninge esthétique à partir de rien, à travers toutes les disciplines, comme devait l’être ce lieu où s’enseignait la maîtrise de l’Art. – Cabinet étrange. – Emelyne Duval a investi un ancien bar tapissé de peaux de léopard et de miroirs, place du Marché aux Herbes, haut lieu de la guindaille montoise. Elle a placé quelques étagères discrètes où ses figurines font leur numéro de retape. Des poupées en plastique dont elle intervertit les membres, les têtes, les transformant en monstres et, soudain, ces êtres dépareillés, associant des parties mâles, femelles et animales, semblent étonnement vivants, prêts à vivre, à bouger et passer à l’acte, prêts à jouer le genre de scènes dessinées et affichées en grand format, en vitrine, sur des filtres translucides. Des tableaux fantasques dont l’interprétation  se construit en plusieurs couches (en oignon) parce que les éléments de la composition se révèlent les uns après les autres. Chaque fois de grandes images comme appartenant à une mythologie commune aux hommes, aux mutants et aux animaux, dans une dimension onirique de l’univers. Souvent, il y a un personnage central, vivant ou mort, dont l’âme migre et c’est à partir de cette dépouille – de sa substance – que l’image élabore son délire, cannibalise le vivant. 1. Une divinité au visage rempli d’yeux et aux épaules enrubannées d’un boa-flux strié – une âme qui chemine -, chevauché au loin par une figure ancienne à haut-de-forme et se terminant par une tête reptile tournée vers une balançoire à femme nue et, au pied de ce mouvement, un scientifique fou, masqué et doté d’un crâne à la Spiderman, scrute les parties génitales et anales d’un zèbre les quatre fer en l’air. Toute la fantasmagorie semble être déclenchée par ce que donne à voir et penser pareil examen. 2. Un gisant, dont le haut n’est plus que squelette et belle tête de mort, tandis que le bas est encore entouré de chair raidie est flanqué d’un petit penseur abîmé dans son néant. Du trou sexuel indéterminé jaillit un serpentin-tourbillon, un flux strié à tête de fêtard. Une bûcheronne à deux têtes dont l’une est dissimulée sous un maque félin, un couple d’humains-oiseaux sur leur trente et un, deux bagarreurs en arrière plan et, devant, une créature géante de carnaval dont la robe laisse sortir des officiants anonymes. Un bambin à l’ancienne, yeux bandés, s’avance vers tous ces mystères, il devra décrire et déterminer ce que ses bras tendus rencontreront, ce que ses mains palperont. 3. Sur un fauve noir nerveux et un peu fourbe (mixte de panthère noire, hyène et loup de Tasmanie), quatre pantins font des acrobaties improbables (sur le point de se casser la gueule ?), derrière un matamore à banane, clé d’automate dans le dos et tatoué. Il promène une petite carabine, une érection optimale et coincée, il semble à son comble et lâche la vapeur, par l’arrière, une âme en forme de serpentin sinueux, flux strié qui virevolte…  – Bémol : Il y a plus à voir et surtout à dire, ce ne sont que des bribes retenues. Chaque artiste fait sa pub, dans chaque lieu visité un cartel donne quelques indications sur l’artiste, mais le site du BAM aurait pu faire un effort, développer la présentation de chaque artiste, un entretien avec els commissaires, au moins reprendre les cartels..  (PH) – Renseignements sur le site du BAM –  Consultez le site des artistes : Josna Diricq Mary G Triangle de Vue Jeftah Isabelle LebonLaurence VrayJulie MoulinPierre LiebartStéphanie Quirola Tristan DescampsRecycling Emelyne Duval

Puces, cachettes et intervalles

Anastasia Bolchakova, « Relative* Show Room », Installation, bazar évolutif. Galerie RTR, 14/09/10 au 16/10/10 (* qui rattache un élément à une proposition ou deux propositions l’une à l’autre).

Anastasia Bolchakova, « Relative* Show Room », Installation, bazar évolutif. Galerie RTR, 14/09/10 au 16/10/10 (* qui rattache un élément à une proposition ou deux propositions l’une à l’autre).

L’espace de la galerie, rez et cave, a été transformé de fond en comble. Pendant plusieurs jours, l’artiste a travaillé sur place, sous forme d’atelier ouvert. Il y avait des heures de visite durant lesquelles il était possible de venir voir le processus à l’œuvre et, probablement, discuter, poser des questions et, forcément, s’impliquer, infléchir involontairement, par le fait même d’intervenir… Le lieu ne ressemble plus à une galerie d’art mais à une boutique improvisée, devanture de fortune, et fonctionne comme ces puces où l’on a toujours l’impression ou l’espoir de dénicher l’objet rare, inattendu, la pièce de collection. Ici, en embrassant l’aspect global, l’œil retire d’abord l’impression d’un ensemble hétéroclite de choses à priori sans valeur. Néanmoins, l’endroit et l’agencement dégagent une sensation de magie immédiate. Tout baigne dans un climat lumineux d’aubaine, d’ailleurs, d’un autre temps, c’est gorgé de possibles. On peut imaginer l’énergie incroyable qu’il a fallu pour amener ici une telle quantité d’objets : le collectage, le ramassage, actions qui implique déjà une lecture des objets, un décryptage de ce qu’ils disent, racontent, évoquent, en quoi ils font résonance avec l’artiste. Les rassembler, les transporter, les entreposer comme une matière première. Ensuite, un travail archéologique commence, il faut examiner de près, étudier la morphologie, recomposer les histoires, les parcours, faire parler les formes, les traces, les marques, interpréter. Révéler la charge émotive oubliée, estompée, éreintée. Et l’interprétation déclenche l’envie de transformer, de modifier ou de transposer en d’autres supports, de créer d’autres objets découlant des premiers récupérés. Ce n’est pas une simple accumulation –, – je mets de tout en vrac et ça dira bien quelque chose -, ce n’est pas un rébus. C’est un atelier où la vie dépose les objets, les images qu’elle happe, c’est la mémoire vue comme un magasin d’objets trouvés. Tout s’empile et forme des groupes, des associations comme dans les rêves. En plusieurs couches. En profondeur. Avec des zones qui font écran, des gros plans, des cascades, des métaphores, des métonymies. Mais rien ne dort dans la boutique. Le travail de l’artiste est continu qui consiste à donner une nouvelle vie à ces objets, un nouveau lustre, une nouvelle utilité. On crée ici un marché parallèle, une autre économie. Des souvenirs, des fétiches, des bribes de nature, des presque rien, des jouets amputés, une vielle K7 sont remballés et mis en vitrine. Ils sont de nouveau à disposition, quiconque peut les investir, leur inventer des usages inédits, ils sont vierges, fantastiques. Ils sont exposés à différentes étapes de la transformation. Certains sont encore ou déjà dans des valises, ils arrivent ou ils partent, ça circule, il y a un vrai commerce. Sans déplacement, emballage, déballage, expédition, réception, repassage, le sens ne se forme pas, les objets ne s’impriment pas. Les tentatives de lecture des objets donnent lieu à des tableaux, des croquis, des suites de signes, de gribouillis, des sentences, des avis. Les strates créent des effets d’art surprenants de surfaces, volumes et textures, superposition de cartons, dessin collé, os alignés… Toute une histoire de l’art s’esquisse dans le dispositif faussement aléatoire où surgissent des éléments biographiques plus évidents, puissants. Des effets qui semblent plus personnels, des souvenirs de famille, des marques laissées par une histoire collective, un pays bien précis. Finalement rien n’est vague et rien ne semble gratuit. Tout semble relié. Ce linge grossier qui évoque une forme de machine aérienne, de masque ou d’organe mutilé. Ce groupe de prises électriques en sculpture plurielle sur le mur, affranchies. Cette suspension de sous-vêtements, d’intimités figées, rêves vides, nuages sans fantasme. Ces objets qui semblent sortir des parois, une chevelure, des gants cruels. Des lunettes sous cellophane, de nouveaux yeux, nouveaux regards. Rien n’est évident. Mais ce qui compte est que l’artiste est là en train de « relativiser », elle expose son bric-à-brac essentiel, son hétérogène matériau, et elle investit la galerie de son énergie pour rattacher, connecter, faire parler. Elle y travaille, elle est à l’œuvre. Il y a de la vraie exhibition, ça performe. J’ai l’impression qu’en repassant quelques jour après, il y aura des déplacements, de nouvelles dispositions, d’autres ordres et désordres et que l’ensemble n’est pas jeté en pâture pour que le visiteur interprète à sa manière. Ce ne sont pas des objets abandonnés qui attendent l’intérêt et l’intervention du visiteur comme dans certaines formes conceptuelles ou fluxus mettant en scène le rien, le hasard, la poésie du quotidien. L’artiste est en train d’y travailler, de les transformer, de les rattacher les uns aux autres, une proposition s’ébauche, je regarde l’ensemble comme si devait en surgir un message puissant, bouleversant, qui est là sans être vu, caché, quelque chose en gestation dans quoi je n’ai pas à créer d’interférence, comme si ce qui se passait là était la macération de souvenirs, d’objets mentaux familiers à partir desquels l’artiste construit son identité, les liens entre la proposition que le monde lui fait dans son fourmillement et la proposition de création de soi qu’elle renvoie, en image, au monde. C’est bruissant de signes en gestation, les objets ne figent rien, c’est une grammaire malléable, plastique. Le regroupement indéterminé de tels objets, certains encore dans leur gangue quasi morte, juste frétillants, certains déjà déplacés dans un ailleurs mental (les petites culottes et les gaines suspendues), font surtout apparaître la force des intervalles entre chacun d’eux. L’artiste parvient à créer l’illusion que cette concentration et ramification d’intervalles, de vides entre chaque objet – perçus comme tels pour le visiteur tel que moi étranger à l’histoire de l’artiste -, est une force, une énergie tangible, une plasticité qu’elle œuvre et qui la met en œuvre, le vide entre les choses à partir duquel le cerveau invente une identité. (PH) – Le blog d’Anastasia Bolchakova – Galerie RTR – J’avais vu Anastasia Bolchakova pour la première fois, sur le trottoir du 104, à l’occasion de Slick 2009 : voir l’article. –