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Pestes, massacres, pain quotidien

Damien Deroubaix, « Sick bizarre defaced creation », 21.04 / 30.05.2009, Galerie In Situ

 deroubaixJ’ai éprouvé une impression de familiarité en plongeant dans les grands formats (genre 268 x 410 cm) de Damien Deroubaix. Ils captent le regard, l’absorbent, l’enveloppent par une multitude de signes, d’images symboliques, un mélange de bons vieux squelettes (qui reprennent du service comme rajeunis) et de monstres derniers cris, indomptables, peuplant les abysses (là, tout près) d’une création malade, défigurée…. Ils dégagent une atmosphère prégnante. Dans l’ensemble, de grandes feuilles de papier recouverte d’une technique hétérogène associant/dissociant aquarelle, acrylique et bouts collés. Tout ce qui est « rassemblé », représenté, relève du collage explosé, démembré, volant en éclats, ou se morcelant, les morceaux se bouffant les uns les autres. L’aspect familier provenait d’une double source : par certains aspects, je retrouvais quelque chose des premières toiles vues de Bruno Vandegraaf (représentant un vaudou postmoderne ou plutôt, un état mental typique de nos sociétés occidentales rationnelles soudain submergé par un retour de refoulé puissant, vaudou, vibrant aux pulsions rituelles du rock de Nick Cave première période). Mais aussi, les images qui se trouvent « déposées» sur les grandes feuilles de papier, comme on dépose selon un pressentiment, les divers éléments dispersés d’un rébus qui, mis ensemble, devraient nous permettre de pointer l’identité de cette chose horrible qui est en train de passer et de tout dévorer, nous comprise (hélas, la solution arrivera trop tard), qui envahit le monde, empruntant le chemin des bas instincts, toutes ces images avaient pour moi un air connu. En lisant quelques informations sur le peintre et en décryptant plusieurs inscriptions aux références explicites, je compris que ce n’était pas un hasard ! Ce peintre travaille sous influence rock, fan de Dead Kennedys, mais aussi adepte de musiques plus troubles comme celles de Napalm Death, Cannibal Corpse, Morbid Angel… Je dis trouble parce que pour moi ce sont des musiques que l’on peut aussi bien considérer comme dénonçant une violence sociale en prétendant dévoiler son visage le plus hideux en vue de créer un choc que comme exploitant de manière ambiguë le pouvoir fascinant de la violence déchaînée, et de manière répétitive et bestiale, tous les morceaux étant forgés dans le même moule (d’où un côté « performance », le même gueuloir /crachoir à l’infini sans espoir d’en sortir, sans autre élaboration de quoi que ce soit d’autre, bref sans espoir). Réaliser un pendant pictural est mission quasi impossible, le son de ces groupes rock a tout pour « déranger » l’oreille, agresser, désorienter (en tout cas les non initiés, les non habitués, les non-membres de la secte), des « retombées » que la peinture atteint difficilement, le regard fonctionnant d’une tout autre manière que les oreilles. Je ne dis pas que c’est l’intention de Damien Deroubaix mais il est difficile de ne pas, en partie, percevoir des œuvres comme des illustrations de certains thèmes récurrents dans ces formes de rock peu amènes. Et donc, elles ont aussi un côté marrant, parce qu’en plus de chercher à dénoncer un triste état du monde, elles jouent avec des clichés, des vignettes, des gimmick… Des batteries de micro tournées vers le point de fuite obscur, amplifiant l’insondable, l’innommable et d’où part la contagion morbide. Il est bien question d’horreur contagieuse. Transmise par les images qui ne connaissent plus de limites, transgressent les frontières entre réel et représenté. On est aussi dans un monde ni mort ni vif, entre les deux. Un monde laminé par des missiles phalliques baptisés « money ». Nature décimée, réduite à des forêts d’arbres de pendus, des corps dépiautés qui hurlent en chœur jaillissant du sol, des prédateurs sous-marins d’outre-tombe, des désirs aux membres tranchants, moignons dégoulinants, des malformations, des corps torturés, morcelés, des dépouilles pourrissantes, et tout ça semble continuer à vivre, en tout cas de grouiller, de se propager : d’un corps mutilé jaillira des corps mutilés, des squelettes engendreront d’autres squelettes, les missiles en explosant déchargent d’autres missiles en chaîne sans fin, les masses pourries gonflent et libèrent d’autres carcasses putréfiées… Tout ça bien écrabouillé, bien mort n’a pourtant pas de fin, on ne s’en débarrasse pas si facilement, ça grouille, noir, sombre ou haut en couleurs comme ces nuits de débauche infernale, comme les particules de la peste noire/brune qui rongent l’humain en festoyant. (Avant de recentrer son travail suite à la découverte des USA, Damien Deroubaix a beaucoup exploiter le svastika… qui s’est reconverti en une peste d’autre sorte, une autre déliquescence totalitaire, un autre délire consumériste, les désirs se dévorant, se recrachant, se ravalant, et ainsi de suite.) C’est quand, personnellement, j’ai été convaincu que ce qui s’étalait dans ces fresques n’était pas l’inventaire folklorique des objets morbides, mais montrait la vie, comment le désir tué, massacré, se multiplie à l’infini pour rejouer ce massacre et en répandre la haine rituelle, dans une dynamique que l’on peut plus enrayer, machine infernale, que le visuel a dépassé le niveau d’images illustrant l’imaginaire d’une certaine scène rock…  Et au centre tournent les requins, l’image par excellence des forces prédatrices et de tout ce que l’homme engendre de pire, qui se retourne contre lui. Terreur. Une expo qui gagnerait à baigner, décibels poussés au plus haut, dans le rock vomitoire de Cannibal Corpse. Ça rigolerait moins ! (PH) Un livre sur Damien DeroubaixAutre critique – 

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