Il est agréable de passer une soirée dans un local que l’on dirait « alternatif », petit et comme aménagé dans l’éphémère (les visiteurs délivrent le message et s’éclipsent), structure légère en vitrine sur la ville, où quelques martiens bidouillent leur organologie musicale informatique. Pris dans la buée graphique des vitres, les halos des lampadaires semblent des soucoupes immobilisées, les bus de passages filent sur coussins d’air, des ombres précipitées de passants déboulent noires comme des âmes diffractées, de passage sur le trottoir vers d’autres dimensions… martiensgohome est un collectif électronique créé en 1996 (« abscons depuis 1996 »). Au départ, c’est une fonction radiophonique, enchaîner des disques sur Radio Campus, qui, sous l’interrogation de ceux qui la prennent en charge va dériver, se transformer, devenir une sorte de happening. Ou, comment, les musiques devant voyager dans les ondes depuis leurs traces gravées jusqu’aux oreilles des auditeurs, elles sont capturées, détournées, transformées au gré de rencontres avec d’autres principes vivants qui les scrutent, les manipulent, les mutent, les greffent, les bouclent… L’agent radiophonique fait parler, dans le sens plein du terme, les musiques qu’il décide de programmer, en les dépiautant, en les soumettant à un laboratoire d’altérations. Avec le temps, Martiens go Home obliquera et décidera de travailler à partir de ses propres générations sonores (il ne « parasitera » plus la musique des autres). L’objectif sera, semble-t-il, de se comporter en véritable martiens explorant les poussières microscopiques de notre terre sonore : prélever des échantillons, le plus possible de variétés de bruits quotidiens dans toutes leurs manifestations ténues, les archiver, les étudier pour tenter, en les scannant dans des machines de plus en plus élaborées, de rendre audibles leurs musiques interstitielles qui contribuent à l’homogénéité schizophrénique ambiante. (Avec des projets aussi de mémoire tournés vers la captation des restes de productions sonores des bassins industriels wallons.) Dimension sociologique des émissions bruitistes ! « Harmonies martiennes » et « collectif électronique », j’utilise ces termes en référence, même si c’est surprenant, avec le rôle social des harmonies, chorales et autres fanfares qui, dans d’autres époques, socialisaient à partir d’une pratique musicale et qui ne peut plus, aujourd’hui, même si ces organisations musicales existent encore, exister tel quel. Parce que la pratique d’une fanfare ne socialisera pas « dans » l’univers sonore contemporain, majoritaire, qui est constitué de sons traités, électroniques, dont la production s’effectue par des « programmes » qui se trouvent technologiquement dans une proximité bien plus forte avec le fonctionnement neuronal du cerveau. (Du genre de proximité avec la pensée évoquée par Deleuze quand il parle du passage de l’image fixe à l’image-mouvement). Electro-associative. C’est probablement une dimension importante de martiensgohome que d’ajouter à la pratique électronique souvent considérée comme trop individualiste, une dimension collective. La dynamique d’une association active dans la vie culturelle urbaine, tissant des réseaux d’échanges, investissant des endroits inhabituels, leur donnant une âme, fusse-t-elle provisoire, en créant des circuits d’échanges d’idées musicales, de savoir-faire. Des lieux où apprivoiser pour une meilleure cohabitation, par la réflexion et l’exercice qui désacralise, les mondes sonores les plus actuels voire conflictuels, rendus hostiles par une série de clichés. S’approprier notre culture. Avec aussi une dimension festive et chaleureuse (ces martiens ont des apparences très humaines). Depuis sa création, martiensgohome a participé et stimulé une réflexion de terrain (sans frontière) et de scène sur l’évolution de la ville, a pratiqué les collaborations avec des projets de danse, est parti à la rencontre du cinéma, a organisé un calendrier important de rencontres avec des musiciens, d’ici ou d’ailleurs, divers martiens de passage. L’anniversaire. Pour célébrer la douzième année d’activités rituelo-électronique –permanence d’un chant neuronal minimal et accidenté délimitant un nouveau territoire tribal qu’ils sont prêts à échanger avec celui d’autres témoins cosmiques- martiensgohome a organisé trois journées d’exposition, projection, invocations bruitistes et bacs de bières. Pour la soirée du 7 février, les martiensgohomes se coupaient en deux et se produisaient en deux sets chaque fois avec un invité non martien, histoire de renforcer leur politique d’échanges interstellaires: en premier lieu, ils croisaient les sons sans plans établis, avec Johan Vandermaelen et ensuite avec Aernoudt Jacobs. Ca ne ressemblait pas à une salle de concert, plutôt à un bureau improvisé de traduction où l’on écoute et tente de traduire les messages délivrés par les fines particules étrangères… Voire une sorte de guichet où l’on résorbe, en se baignant dans la prolifération de molécules électroniques venues d’ailleurs, les dégâts de la fracture numérique… À noter l’édition d’une clef USB reprenant dix heures d’émissions radiophoniques, permanence des harmonies des microsphères de l’intimité machinale et inconsciente. (PH) – Témoignages sur leurs activités : lien 1 – lien 2 – La clef USB – Une discographie – Le livre Martiens go Home –
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