Mike Bouchet, Impulse Strategies, Galerie Vallois, 18 mars au 23 avril 2011 – C’est une salle obscure dans la galerie, on y entre en écartant une tenture impersonnelle, un fauteuil confortable et solitaire attend, face à un tableau lumineux projeté sur le mur. Est-ce une image fixe ou la représentation d’un fourmillement frénétique, irrépressible ? Cela pourrait être un de ces tapis moelleux dont les motifs varient selon les mouvements qui agitent la laine au passage des pieds, ou des mains fascinées par la douceur absorbante ce recouvrement. On songe ensuite vaguement à un jeu vidéo, à ces labyrinthes dévoreurs où le héros doit se frayer un passage en massacrant le plus possible d’ennemis et, de la sorte, gagner des vies. En fait, c’est une collection démente d’innombrables vignettes de copulations pornographiques, gros plans forcenés. Une tapisserie virtuelle, libidineuse, suinte de ce mur. On sait très vite ce que l’on voit sans le savoir vraiment. Comme tous les indices visuels qui, dans les messages publicitaires dictant une grande part des comportements des consommateurs, échappent à la conscience et oeuvrent à déclencher l’impulsion à consommer, à capter les désirs qui voient loin pour les convertir en pulsions consentant à s’assouvir au plus près, par substitution compulsive. – La galerie en boutique inepte. – Les murs de l’ensemble de la galerie ont été recouverts de tapis pour faire penser à ces boutiques où l’on vend tout et n’importe quoi, à des prix discount, et souvent des objets tellement déclassés, tellement ersatz d’ersatz que l’on s’interroge sur leur usage, sur leur gratuité (sans utilité, tellement laids, ils rejoignent la catégorie de l’art pour l’art, du suprême superflu) et surtout sur le genre de public qui les recherchent, les placent dans leur décor quotidien. – Regard obsédé. – Une série de toiles conjuguent l’apparition de fentes concupiscentes dans diverses matières : la chair et son œil vertical au désir vitrifié (plus une once de peau innocente), la chair Denim et sa boutonnière organique aux aguets, l’obscurité lisse du cuir dominant entre baillée comme l’ouverture d’un sac à main où le bric-à-brac sentimental met en scène un rituel de destruction (un nounours piqué d’épingles, une photo de couple dont l’homme se décompose, image qui pleure et fond sous l’impact des aiguilles maléfiques). La peau des produits convoités, consommables, nous épient, nous convoitent, prêtes à nous absorber. Même si le lien n’est pas explicite, c’est un peu l’envers de ces images qui se déroule une autre toile où un ciel chargé, brassant une mélodramatique masse nuageuse où lumières et obscurités s’affrontent, semble aspirer un vaste moutonnement de formes lisses, abondantes comme un banc de poissons, anonymes, impersonnelles… une mer de crânes d’oeuf ? Non, de croupes nues faites au même moule. La première impression est de se trouver devant un paysage vide, creux, un paysage dont il manque tout ce qui fait un paysage, dont il ne reste que le vide, l’attraction majestueuse que les cieux exercent sur les troupeaux de culs. On dirait la trame mise à nu de milliers d’images déjà vues, mais où, lesquelles, que vaut cette impression ? Quelle marque et quel slogan inscrire dans ce paysage ? – Sculpture, recyclage, piscines et cola. – Il y a deux trois pièces brutes, des morceaux de chantier, des structures de bois et métal découpées, éléments de coffrage, des angles ou des articulations des charpentes provisoires, des espèces de totems tronqués avec boulons, vestiges de fixation, de matériaux de recouvrement. Elles sont là, « montées » ou déposées comme des pièces abstraites, des rebuts ouvriers et industriels transformés en bibelots d’art, des vestiges d’une ossature primitive au cœur même de nos architectures modernes, brillantes, lisses et superficielles. Au centre, le divan partiellement recouvert d’une peau de bête – rarement animalité aura semblé aussi dépouillée, absente, niée, asséchée – est constitué d’organes de bagnoles (ou autres machines et électro ménager) compressés. Il fait face à une télévision où tourne en boucle une pub pour le farniente au soleil en bord de piscine m’as-tu vu. Les beaux corps plongent, brassent, se frôlent, se hissent sur le bord, se prélassent, se vernissent les ongles… sauf que la piscine est remplie de cola (mis au point par l’artiste pour une performance précédente), un liquide réputé corrosif qui attaque les muqueuses (il est déconseillé d’y rester immergé plus de trois minutes) et la peau dans une dangereuse réaction avec le soleil et, du coup, tout ce petit film solaire, tonique, prend des allures de scène funèbre où l’on regarde des sortes de mannequins lugubres condamnés à faire joujou avec leur sinistre piscine. L’effet décapant et déprimant de ces images, que l’on regarde assis sur les carcasses de machines, ne fonctionne que parce que l’on sait les millions et les millions de litres de cola dans lesquels baignent littéralement les organes d’une part importante de la population mondiale, liée à une économie qui a la bonne « impulse strategy ». – Cerveau, rangement écrasé. – En bonne place, forcément, un cerveau nu, peint à l’huile, blanchi, comme vidé du sang et, donc, des idées, pensées qui lui seraient propres. Désincarné. Et, en vis-à-vis, réplique du cerveau comme organe de tri et rangement, une étagère écrabouillée (voir la photo du carton d’invitation où l’artiste-grutier utilise les grands moyens pour réduire en miette la structure minimaliste d’un rangement métallique, vide, comme quoi, tout le travail en amont, parfois spectaculaire est intéressant à appréhender). Cette structure qui aide en principe à organiser et ranger une documentation, des livres, des dossiers, des images, des souvenirs, est démantibulée, toutes ses surfaces ramassées, pliées, comprimées en un seul bloc aux strates sans âme. Meuble réduit en une sorte de fossile industriel. Emergent de ce désastre des livres sur le foot, Mercedes, le prestige de l’art… L’ensemble est dynamique et installe un jeu de tensions et pressions amusantes sur le visiteur et son rôle de « récepteur des valeurs artistiques ». Quelque chose tourne court, une pulsion vers le lointain et l’incalculable de l’art est ici, réduit, biaisé, retourné à l’expéditeur, ramené au plus bas des instincts, mais selon un dispositif intelligent, ouvrant l’œil sur les mécanismes troubles par lesquels la société de consommation colonise notre culture de l’image. (PH) – Lien vers la galerie, texte de présentation + photos officielles – Vidéo, Mike Bouchet à Venise
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