Aux bruits perçus et au regard parcourant les zones résidentielles (entre villages et campagnes, maillage de plus en plus serré), il semble que la principale activité de jardinage soit de dompter l’herbe, la tondre obsessionnellement, la maintenir rase et l’arracher partout où elle est « mauvaise », voire prévenir sa germination en étouffant le sol grâce à des toiles plastifiées. Voilà la relation à la nature. Cette saison, dans le carré délimité par des haies épaisses de buis, où poussent des myrtilliers à l’ombre d’un cornouiller et d’un hibiscus, j’ai laissé l’herbe grandir comme elle l’entendait. La prairie initiale resurgit et rappelle qu’elle était là avant nous. La contemplation de cette parcelle est tout à la fois reposante et agitée. Elle représente un infini de lignes en tous sens, enserré entre les murs de buis comme élément de labyrinthe. C’est aussi une miniature qui représente l’immensité des champs sauvages perdus. Le regard s’enfonce dans ces rideaux et réseaux successifs de tiges sans voir le fond, sans comprendre exactement à quoi cela lui fait penser. Il n’y a pas de sens, pas d’utilité, trop de lignes et de plans brisés, réfléchis en d’autres lignes, autres plans. Au contraire d’une pelouse tondue réglementairement, militairement toutes les semaines, pour donner l’image d’une permanence entretenue, contenue, ici, ça déborde, l’herbe prend la marque du temps qui passe, s’affaisse, change de couleur, ne reflète pas les lumières de la même manière que dans sa jeunesse, les parties déjà transformées en paille brillent, réfléchissent des teintes blanches, alors que les jeunes pousses vert tendre semblaient éclairées de l’intérieur, en douceur. Toute la surface d’herbe prend l’empreinte de ce qui s’est passé durant les mois d’été : la pluie, le vent, la sécheresse, le passage d’animaux, le chat qui fait son lit au frais. Il y a des traces, des nœuds, des tresses, des éclatements, des écrasements. Alors qu’une herbe rasée en permanence n’a pas d’histoire. Au fur et à mesure on y observe l’apparition des fleurs, des graines, leur désagrégation pour propager la vie, les insectes, les butineurs. Confronté à cette installation, j’éprouve la difficulté de description que pose ce tableau. Il est impossible d’en rendre compte selon un déroulé linéaire. Il évoque certains stades de la peinture qui rendent de celle-ci, avant même de cerner un sujet ou un thème, la trame-prairie de coups de pinceaux. À l’infini, comme lieu d’empreintes de ce qui se laisse saisir dans la trame. Regarder, avec une focale floue, large ou en focus précis, gros plan dans la texture, un tel morceau de prairie, c’est s’entraîner à trouver des mots et des images pour décrire et interpréter des musiques, des textes littéraires, des narrations cinématographiques. C’est aussi s’entraîner à inventer des aventures dans cet espace clos, réduit mais symbolisant l’infini sauvage, comme quand on jouait au jardin et que celui-ci, avec ses différentes régions, servait à représenter de vastes pays, des continents, des climats éloignés. L’impénétrable du coin d’herbe stimule l’imagination. Regarder un bout de nature est toujours un apprentissage. Regarder et dire à quoi « ça » fait penser, chercher les correspondances et sentir qu’alors un monde se rend possible, un lieu où vivre. C’est ainsi qu’a débuter l’aventure de la connaissance. J’y pense souvent, mais fugacement, au disque de Joane Hétu, « Seule dans les chants ». (PH)
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