« D’ailleurs », exposition organisée par le Bon Vouloir, Mons, Les Abattoirs, jusqu’au 4 avril 2010.Le Bon Vouloir organise cette exposition originale autour du peintre Pat Andréa, représentant de ce que l’on a appelé vers la fin des années 60 la Nouvelle Subjectivité. Terme, semble-t-il, inventé par Jean Clair et qui désignait un retour franc à la peinture : « il n’est pas interdit de peintre ni de penser par la peinture » tout en recourant à toutes les techniques modernes (acryliques…) et en ciblant la représentation du quotidien (objets, scènes, atmosphères). Mais il est difficile d’établir une unité de la Nouvelle Subjectivité (forcément). Pat Andréa a régulièrement été en bonne place dans toutes les grandes expositions internationales sur ce mouvement (qui compte aussi des gens comme David Hockney) et donc c’est un événement de pouvoir regarder de près un beau choix de ses grandes toiles dans une ville comme Mons. L’exposition est complétée par un choix de peintres qui, d’une manière ou d’une autre, cultivent des affinités, des liaisons, des variations ou des dérivations avec l’œuvre de Pat Andréa. – Trames mythologiques – Je ne rentre pas facilement dans les toiles de Pat Andréa. Ce sont des surfaces hétérogènes, personnages au crayon, postures rigides, personnages de tailles différentes, éléments architecturaux colorés… Elles me font l’effet de scènes mythologiques, à mi-chemin entre la résurgence de scènes anciennes sans cesse rejouées à l’identique et l’émergence de nouvelles bribes de mythes. C’est très illustratif, très narratif et en même temps très éclaté un peu comme dans certaines tendances surréalistes où tout peut être associé avec n’importe quoi. Mais ici, certes, les éléments sont liés, noués, ce n’est pas simple divagation de l’imaginaire. Dans quel sens entendre l’esthétique de mythe de ces images ? « Dans son sens profond, tel que le définit Lévis-Strausq, le mythe a pour fonction de décrire la réalité, de l’expliquer et de la justifier aux yeux des habitants d’une culture singulière. De plus, un mythe n’est pas réductible à un simple récit, il est aussi un « nœud anthropologique »intriquant les dimensions symboliques – certes spécifique au récit – avec des formes propres à la production imaginaire, des praxis et modes de relation au réel. Un mythe articule de façon insécable une série de récits avec des processus, sans qu’existe nécessairement un rapport biunivoque entre eux. » (Miguel Benasayag, « Organismes et artefacts ».) Face à ce genre de représentation, je peux imaginer une multitude de sens, sans jamais être certain de suivre le bon fil. J’ai l’impression qu’il me manque quelque chose, sans doute caché dans la construction iconographique. Les œuvres exposées sont d’inspiration diverse, je m’attacherai plutôt à celle où prédomine le fond blanc. Le liant serait une violence sourde, indiquée par les éléments sexuels et érotiques dans un agencement de tension, de dramatisation du désir. Le blanc n’est pas neutre, c’est le blanc de la colère, de la rage, de la peur (être blanc de rage, être livide comme un linge), d’un état extrême des émotions (être chauffé à blanc). Dans « Volcano », une femme rêveuse, auréolée, laisse une main traîner près du cratère lointain, en éruption. Elle a du sang sur le bras, sur les jambes, ce n’est pas son sang, c’est du sang éclaboussé. Une petite femme sans bras court vers le devant du tableau et vers la rêveuse ensanglantée, terrifiée, hurlante. À gauche, intérieur d’une maison, couloir calme, paisible, portes colorées ouvertes, évoquant les portes de cabines de bain… Le type des femmes est argentin, pays où le peintre a séjourné et où il a été impressionné par le climat violent – torturant – de la dictature. Il me semble que ces récits picturaux sont figés dans le climat de cette terreur, dans la toile invisible de l’horreur totalitaire. Les compositions s’organisent entre les surfaces hystériques du blanc, des compositions géométriques colorées qui déréalisent le réel, l’espace privé et des corps coincés dans ces organisations, jouant des scènes qu’ils espèrent cathartiques (mais rien n’est moins sûr) ! « Head Off » : trois femmes associées dans une exécution. Celle du milieu, la plus grande, porte une petite robe transparente, semble voler vers la gauche, tenant d’une main en forme de griffe la tête coupée d’un homme et de l’autre agrippant le décolleté d’une autre femme, dénudant ses seins. Cette deuxième femme tient un sabre sanglant. La troisième femme, hiératique, regard dans le vague, seins nus, a les mains posées sur les épaules de l’homme décapité. Le tableau est barré à droite d’une immense feuille de bananier. Un chemin de croix se construit, une sorte de liturgie pour exorciser l’impact de la dictature dans le mental d’un peuple… Chaque peintre exposé, malgré les cousinages, est très différent. On change vraiment d’atmosphère et chaque espace présente un choix bien dosé pour bien entrer dans l’univers du peintre, ce n’est pas du zapping. Mais la gymnastique pour comprendre chaque univers, les uns après les autres, est rude ! – Machine et paysage – De Cyr Frimout (Aalter), je retiens quelques belles études de mouvements dynamiques, notamment cette décomposition d’un corps nageant qui s’intègre dans le paysage. Il y a l’effet d’une confluence métaphorique : comme toutes ces études mécaniques ayant permis de démonter le mouvement, la mécanique du déplacement organique, les corps ici en action, sportive ou érotique, sont comme montrés dans leur vitesse, selon une décomposition inspirée de la thermodynamique, ils sont passés dans l’analyse d’une machine désirante; en même temps, une fois ainsi exprimé dans leu force principale, ou leur agrégat de force, ils se réintègrent dans la nature. Le nageur donne l’impression d’une plongée et d’un crawl à même la végétation, les reliefs verts d’un paysage vallonné. La peinture illustre dans ce genre de cas des champs de recherche ouverts par la philosophie. Je citerai encore M. Benasayag évoquant lui-même Gilles Deleuze : « D’autant que les hommes de la modernité savent bien que leurs « désirs » les plus intimes, les tropismes qui les traversent, incluent toujours plus d’éléments en provenance des machines. Un dispositif d’ailleurs parfaitement analogue à celui d’une peuplade qui vit en totale harmonie avec des animaux et qui constate que ses tropismes, désirs et « sens » sont influencés par ce qu’on pourrait appeler, avec Gilles Deleuze, une perception et un devenir animal. On l’a vu, les désirs que nous prétendons si intimes, si « personnels », sont toujours surdéterminés par les éléments du paysage, de l’écosystème que nous habitons. Ainsi, le « désir » d’un homme des montagnes sera largement tissé par les alpages, le condor et le vent. » Cyr Frimout est une belle illustration d’un regard de peintre enrichi par le savoir des machines et par son écosystème naturel, réel ou fantasmatique, où il rêve d’accomplir des immersions organiques complètes, des fusions interdynamiques… – Autres fenêtres mythologiques – Jan De Winter (Mechelen) expose quelques grands formats où je retrouve aussi une sorte de trame mythologique, dérive d’objets hétéroclites, substituts d’antiquités et morceaux de réels très actuels, balayés par la même force, la même attraction (celle d’une subjectivité qui amasse des éléments lui permettant de comprendre le réel), la même gravitation. « Self Made Man » est une grande silhouette multicolore faite de traits de pinceaux, de coulures de matières colorées. Un homme en devenir, un homme primitif, mais aussi une sorte d’écorché, d’être en chairs vives, la peinture à fleur de peau, directement en contact avec l’extérieur, le, peintre peint avec tout son corps, ses coups de pinceaux représente son système nerveux, neuronal, toujours prêt à capter, absorber de nouvelles perceptions. Assez joli. Mais il présente aussi de petits formats (technique mixte, pastel ou crayon, acrylique, papier) très intrigants ou amusants, comme de réunir en un seul geste, un masque africain et une coiffure rockabilly, drôle de fétiche. Ou cette représentation du désir entre acupuncture saignante, corps en lévitation électrisé entre deux pôles : un masque piqué et pissant aussi le sang au mur, côté plante des pieds et une fenêtre de noir absolu attirant la chevelure. Le courant passe. – Osez les anges –Le territoire de Dario Caterina (Liège) est puissant. Très libre dans sa manière d’associer les techniques (photos, acrylique, dessin, texte, principes de l’installation, dynamique conceptuelle, radioscopie…), il présente un ensemble d’une grande homogénéité sous le titre : « Installation Ornithorynque. De la nécessité des anges. » Cette installation regroupe des grands formats en diptyque qui creusent le filon : « Femme armée de son enfant », « Femme belle aussi de l’intérieur », « Ange qui offre son cœur ». Chaque titre est renforcé par une phrase du genre : « L’homme construit sa philosophie, la femme la possède naturellement », titre de l’œuvre : « Femme Hibou ». L’image principale est « commentée » par un tableau parallèle où la thématique est présentée en rébus totémique, frise de signes symboliques comme des gros plans dissociés de détails génétiques de l’image principale, ou radioscopie de parties corporelles (comme l’intérieur des tableaux ou en opposition à ceux-ci : images fétiches des nouvelles représentations du réel médicalisé contre les images d’une « nouvelle subjectivité engendrant ses mythes pour comprendre le réel, comprendre signifiant ici s’échapper, retourner vers ses anges primitifs). Alzheimer et Martine au bordel. Frank Maieu cultive un humour pamphlétaire, grinçant, parfois poétique et abyssal, comme cette représentation d’alzheimer (« Dr. Alzheimer, I presume? »). Quant à Geneviève Van der Wielen (Liège), belles images illustratives, recyclage du concept « Martine » croisé avec celui de Blanche Epiphanie, fabrication en série de chromos, imitation des vilaines toiles décorant les mauvaises chambres d’hôtel borgne (selon la tradition) ? L’image d’Epinal, les scènes de genre traités comme des tableaux mythologiques kitsch… (PH)
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Un grand merci pour ce superbe article et ces delicieuses images
amicalement
Gilles